Sommaire :
Le Conseil d’État vient d’apporter trois importantes précisions à la jurisprudence Czabaj en indiquant, en premier lieu, qu’un recours administratif ou une demande d'aide juridictionnelle peut interrompre le "délai raisonnable".
En deuxième lieu, dans le cas d’un recours administratif, un nouveau délai tiré de la jurisprudence Czabaj peut s’appliquer.
En troisième et dernier lieu, le délai raisonnable est opposable au destinataire de la décision lorsqu'il saisit une juridiction incompétente, dès lors qu'il a introduit cette instance avant son expiration. Mais ce dernier est recevable à saisir la juridiction compétente jusqu'au terme d'un délai de 2 mois à compter de la notification/signification de la décision par laquelle la juridiction s'est déclarée irrévocablement incompétente.
Objet :
CE, 12 juillet 2023, n° 474865, Commune de Cours (Rhône)
CE, 5 juillet 2023, n° 465478, Pôle emploi c/ M. A
Sources :
Articles R. 421-1 et R. 421-5 du Code justice administrative (CJA) ;
CE, 13 juillet 2016, n° 387763, Czabaj ;
Article R. 112-5 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA).
Analyse :
En matière de délai pour former un recours à l’encontre d’un acte administratif, l’article R. 421-1 du CJA pose comme principe un délai de 2 mois à partir de la notification ou la publication de la décision, sous réserve de mentionner, au sein de ladite décision, les voies de recours et le délai comme l’indique l’article R. 421-5 du CJA. À défaut de ces mentions, le délai est inopposable au requérant.
Toutefois, la jurisprudence Czabaj (CE, 13 juillet 2016, n° 387763, Czabaj) a apporté une exception à cette inopposabilité du délai en énonçant que :
« 3. Le principe de sécurité juridique, […], fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le CJA, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières, dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance. ».
Dès lors, le requérant souhaitant attaquer une décision ayant pour défaut de mentionner son délai, le recours ne saurait être recevable au-delà d’un délai raisonnable, estimé à, en général, une année après la notification/publication de la décision.
Néanmoins, par sa décision du 12 juillet, le Conseil d’État vient d’apporter deux précisions sur l’application de cette jurisprudence.
D’une part, le Conseil d’État énonce qu’un recours administratif entraine l’interruption du délai Czabaj en indiquant que :
« La présentation, dans le délai imparti pour introduire un recourscontentieux contre une décision administrative, d'un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, contre cette décision a pour effet d'interrompre ce délai. Il en va notamment ainsi lorsque, faute de respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, le délai dont dispose le destinataire de la décision pour exercer le recours juridictionnel est le délai découlant de la règle énoncée au point 3. »
Le Conseil d’État précise également l’hypothèse d’une absence de mention des voies de recours et délai au sein la nouvelle décision, explicite et implicite, de rejet en indiquant que le délai Czabaj s’applique :
« Lorsque le recours administratif fait l'objet d'une décision explicite de rejet, un nouveau délai de recours commence à courir à compter de la date de notification de cette décision. Si la notification de la décision de rejet du recours administratif n'est pas elle-même assortie d'une information sur les voies et délais de recours, l'intéressé dispose de nouveau, à compter de cette notification, du délai découlant de la règle énoncée au point précédent pour saisir le juge. »
« En cas de silence gardé par l'administration sur le recours administratif, le délai de recours contentieux de droit commun contre la décision administrative contestée recommence à courir dès la naissance d'une décision implicite de rejet du recours administratif lorsque l'autorité administrative a accusé réception de ce dernier recours et que l'accusé de réception comporte les indications prévues à l'article R. 112-5 du CRPA. A défaut, l'intéressé dispose, pour introduire son recours contentieux contre la décision administrative qu'il conteste, à compter du jour où il a eu connaissance de la décision implicite de rejet de son recours administratif, du délai raisonnable découlant de la règle énoncée au point précédent. »
D’autre part, le Conseil d’État énonce qu’une demande d’aide juridictionnelle est également susceptible d’interrompre le délai Czabaj :
« Faute de respect de l'obligation d'informer le destinataire d'une décision administrative sur les voies et délais de recours, le délai dont dispose celui-ci pour exercer un recours juridictionnel contre cette décision est le délai découlant de la règle énoncée au point 3., une demande d'aide juridictionnelle formée avant l'expiration de ce délai en vue de l'exercice de ce recours a pour effet de l'interrompre. Le délai de recours contentieux recommence à courir à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle. En cas d'admission à l'aide juridictionnelle, ce délai est celui, en principe de deux mois, imparti par le CJA pour contester la décision administrative. Lorsque, en revanche, le bénéfice de l'aide juridictionnelle a été refusé, l'intéressé dispose, pour introduire un recours contentieux contre la décision qu'il conteste, du délai découlant de la règle énoncée au point 3. »
Quant à sa décision du 5 juillet, le Conseil d’État précise l’hypothèse de l’articulation entre la jurisprudence Czabaj et la saisine d’une juridiction incompétente, en indiquant notamment que :
« Ce délai raisonnable est opposable au destinataire de la décision lorsqu'il saisit la juridiction judiciaire, alors que la juridiction administrative était compétente, dès lors qu'il a introduit cette instance avant son expiration. Ce requérant est ensuite recevable à saisir la juridiction administrative jusqu'au terme d'un délai de deux mois à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s'est, de manière irrévocable, déclarée incompétente. »
En synthèse, le Conseil d’État réduit l’application de la jurisprudence Czabaj en précisant qu’un recours administratif, contentieux ou non, interrompt le délai raisonnable. Dans le cadre de l’édiction d’une décision de rejet, implicite ou explicite, sans mention des voies de recours et du délai, le délai raisonnable s’applique encore. La demande d’aide juridictionnelle interrompt également le délai raisonnable. Et enfin, la saisine d’une juridiction incompétente donne un délai de deux mois au requérant pour saisir la juridiction compétente.
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